Des logiciels pour favoriser la fixation du carbone

a green forest. At the base of a tree, a glowing smartphone with a leaf

Dans le cadre des actions mondiales visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre, peu d’entre nous s’intéressent à ce qui se trouve sous nos pieds. À juste titre, nous orientons nos efforts vers des problématiques classiques, comme les centrales, le trafic routier et d’autres sources d’émissions majeures. Cependant, nous prenons rarement en compte l’un de nos meilleurs alliés dans la lutte contre le changement climatique : le sol qui nous entoure. Comment faire pour que le sol piège davantage d’émissions de carbone ? Avec un logiciel.

Un logiciel vert ?

Les logiciels sont généralement considérés comme des consommateurs d’énergie et, par conséquent, des pollueurs, et non comme un outil permettant de réduire nos émissions. Selon les experts, les énormes centres de données des sociétés Internet émettent autant de dioxyde de carbone que le secteur aérien. En conséquence, les principales entreprises technologiques ont pris des mesures afin de gérer leurs installations et chaînes logistiques de manière durable. Elles ont également investi dans des solutions pour le climat (Amazon, Google, Microsoft et Apple). Cet éventail de solutions s’étend de la compensation des émissions de carbone (principalement le financement de projets de réduction d’émissions) à la diminution générale des émissions des serveurs en les alimentant avec des énergies propres.

Toutefois, le potentiel des logiciels va bien au-delà. Ces derniers peuvent favoriser activement la réduction de l’empreinte carbone de l’agriculture, de l’activité forestière et d’autres secteurs à utilisation intensive des terres. Et les axes d’amélioration sont considérables. Après la production énergétique, ces domaines constituent la principale source d’émissions, devançant même le secteur du transport en termes de gaz à effet de serre libérés dans l’atmosphère. 

Plusieurs raisons expliquent ce constat. Les pratiques agricoles modernes libèrent le carbone du sol. En parallèle, la déforestation détruit les précieux puits de carbone et libère ce gaz dans l’atmosphère. Par ailleurs, le méthane émanant du bétail constitue une part importante des émissions de gaz à effet de serre.

Les logiciels peuvent contribuer au maintien du carbone dans le sol et dans la biomasse en aidant les producteurs alimentaires, les organisations écologistes, les gouvernements et d’autres acteurs à empêcher sa libération.

Surveillance de la déforestation

Les outils de surveillance et d’évaluation de la déforestation en sont un parfait exemple. Les forêts constituent non seulement des écosystèmes vitaux mais également d’importants puits de carbone qui fixent des centaines de millions de tonnes de carbone chaque année. C’est pourquoi nous portons une attention particulière aux forêts tropicales amazoniennes ainsi qu’à d’autres zones en danger; touchées par la déforestation, qui nuit à la capacité d’élimination du carbone dans l’atmosphère de notre biosphère. La surveillance des forêts constitue la première étape vers une prise de mesures.

L’une des méthodes de suivi de la déforestation consiste à fournir aux utilisateurs un accès peu coûteux à des images satellitaires récentes. Au cours des cinq dernières années, les initiatives publiques telles que le Programme Sentinel de l’Agence spatiale européenne et l’opérateur satellite privé Planet ont permis de favoriser l’accès à des images satellitaires multispectrales en haute définition. Les universitaires et activistes exploitent des ressources et d’autres sources de données afin d’utiliser ces images pour identifier des zones de déforestation. Global Forest Watch est l’un des outils de suivi de déforestation utilisant ces images les plus connus au monde. Développé par le World Resources Institute, il offre non seulement aux utilisateurs un historique des changements, mais peut également les alerter en temps quasi-réel d’une déforestation. Certaines organisations écologistes ont mis au point leurs propres solutions fonctionnant selon le même principe à l’échelle locale. Au Pérou, par exemple, le gouvernement s’est associé à des spécialistes des SIG afin de créer la plateforme Geobosques dans le but de suivre les changements qui touchent la forêt amazonienne. 

Carte de l’Amazonie brésilienne. Les vastes taches rouges indiquent les récentes dégradations de l’Amazonie au cours des vingt dernières années.
Global Forest Watch met en évidence la diminution du couvert forestier amazonien au cours des vingt dernières années.

Les développeurs de logiciels de surveillance forestière s’attachent désormais à la démocratisation de ces outils. L’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture a développé un outil d’imagerie satellitaire gratuit et open source baptisé Sepal, qui permet aux utilisateurs de collecter des images récentes à partir de Google Earth Engine et d’entraîner un ordinateur à évaluer un éventail de changements survenant dans leurs paysages locaux. Dans certains cas, des notifications de déforestation sont rapidement émises par ce service, en seulement quelques semaines.
Les protecteurs environnementaux peuvent également déployer cette technologie pour surveiller la déforestation sur le terrain, même dans des zones où la connexion Internet est limitée. Au Pérou, les peuples indigènes Harakbut, Yine, et Matsiguenka utilisent l’outil de collecte de données hors ligne Mapeo afin de suivre et de signaler des activités minières et forestières illégales dans la réserve communale d’Amarakaeri. En concevant des logiciels qui répondent aux besoins et contraintes des habitants, comme une faible connexion, ces outils peuvent aider les utilisateurs à diminuer la déforestation ainsi que les effets néfastes qui en découlent.

Intégrer les connaissances acquises sur le terrain pour favoriser la fixation du carbone

Au cours des dernières décennies, le labourage, les pesticides et l’aspersion d’azote ont endommagé les terres du monde entier. Selon les experts, si les pratiques agricoles ne changent pas, une grande partie de notre terre végétale sera appauvrie au cours des soixante prochaines années. En ce sens, la lutte contre les émissions de carbone est étroitement liée à nos actions pour une alimentation durable. Les solutions pour ces deux problématiques visent à favoriser un sol sain, où est séquestré le carbone.

Les logiciels peuvent aider les producteurs alimentaires, comme les agriculteurs, les éleveurs ou encore les pêcheurs, à adopter de nouvelles méthodes telles que l’enherbement et l’agroforesterie afin de cultiver et de récolter des denrées, tout en régénérant le sol. Des outils tels que ceux développés par Precision Developmentt envoient aux agriculteurs, qui ne disposent pas tous d’un smartphone, des SMS avec des conseils quotidiens personnalisés sur la mise en œuvre de ces bonnes pratiques. 

Les outils de narration mobiles permettent aux activistes de partager le témoignage de leurs aînés quant à l’impact des pratiques agricoles sur le paysage, encourageant ainsi les jeunes générations à endiguer la situation et à favoriser un sol sain. 

Certains logiciels allient diverses sources de données à des recherches agricoles afin de proposer des recommandations de planification quant au choix des cultures et à la plantation. Par exemple, deux outils d’agroforesterie, Agroforestry Platform et Pretaterra, accompagnent les agriculteurs dans le cadre de leurs systèmes d’agroforesterie en les orientant en matière de sélection, d’espacement et de variété des arbres, et en les aidant à projeter leurs rendements et la fixation du carbone. D’autres outils sensibilisent les agriculteurs et les éleveurs sur des pratiques de régénération. Grâce à l’utilisation de ces logiciels pour la planification et l’apprentissage, les acteurs qui collectent des ressources provenant du sol peuvent émettre moins de gaz à effet de serre. 

Des aides financières pour les services écosystémiques

Les lois du marché jouent un rôle essentiel en encourageant des pratiques agricoles qui nuisent à la qualité du sol et favorisent la libération du carbone dans l’atmosphère. L’accroissement de la population s’accompagne d’une hausse de la demande d’aliments caloriques en grandes quantités. Les pratiques de « révolution verte » comme le labourage intensif ainsi que l’utilisation importante de pesticides et d’engrais peuvent déboucher sur des rendements élevés, au détriment d’une dégradation du sol. En revanche, les pratiques régénératrices peuvent favoriser une terre et une alimentation saines. Cependant, l’adoption de cette stratégie constitue un pari coûteux pour les agriculteurs qui dégagent de faibles marges. Les logiciels peuvent faciliter cette transition en offrant aux agriculteurs et aux autres acteurs de la terre l’infrastructure nécessaire pour une rémunération incitant à l’adoption de pratiques qui fixent le carbone dans les végétaux et le sol. 

L’une des solutions consiste à surveiller et à gérer les systèmes financiers de crédit-carbone. En aidant les agriculteurs à évaluer les impacts sur le sol avec le temps et en mettant en place des plateformes de crédit et de paiement comme Regen Network et Nori, il est possible de proposer des aides financières qui favorisent la fixation du carbone dans le sol et profitent à tous.

Le site web de Regen Network explique offrir des fonds aux agriculteurs qui pratiquent le semis direct, l’enherbement, l’assolement et la rotation des pâturages.
Regen Network propose des aides financières aux agriculteurs pour l’adoption de pratiques responsables en matière de gestion du sol

La certification constitue une autre approche primordiale. Autrement dit, il s’agit de l’évaluation par un organisme indépendant des pratiques d’un agriculteur et de la délivrance d’un label de qualité. Les programmes de certification tels que ceux proposés par la Rainforest Alliance favorisent une agriculture durable en encourageant les agriculteurs à préserver les forêts et à adopter des pratiques responsables. Les logiciels ont leur utilité dans le cadre de cette procédure. En effet, ils permettent aux agriculteurs de garder une trace précise de leurs pratiques, de leurs apports, de leurs résultats et de toutes les informations nécessaires à la délivrance d’un label de qualité par un organisme de certification.

Les logiciels, une pièce du puzzle

Dans le cadre de l’initiative des mille paysages, notre mission avec la création de Terraso est de continuer à identifier et à saluer le travail des autres pour l’utilisation du logiciel afin de contribuer à la durabilité et à la régénération de la planète. En associant des outils logiciels tiers et en partageant des bonnes pratiques, nous pouvons aider les responsables locaux à planifier, à financer et à mener des projets qui profitent à la communauté locale comme mondiale.

Des sols sains et une diminution du carbone dans l’atmosphère nécessitent un transfert d’informations efficace entre les différents acteurs. Les données vérifiables constituent un aspect fondamental de la gestion du sol. Elles permettent à toutes les parties prenantes de savoir de façon fiable ce qui se passe et comment évolue le sol afin de pouvoir justifier la nécessité d’agir. Dans la mesure où les logiciels sont en mesure d’enregistrer des données, de les fournir à ceux qui en ont besoin et de favoriser une organisation ainsi qu’une communication efficaces, ils jouent un rôle majeur dans le cadre de services environnementaux comme la fixation du carbone. 

Comme nous l’avons mentionné à plusieurs occasions, seules des solutions systémiques peuvent répondre à des problèmes systémiques tels que le changement climatique, avec une multitude d’acteurs en quête de changement à l’échelle locale. Si les logiciels verts ne sont pas aussi médiatisés que les véhicules électriques, ils sont essentiels à la gestion durable de nos terres, à la restauration d’écosystèmes dégradés et à la lutte contre le changement climatique.

Des logiciels pour favoriser la fixation du carbone

Un commentaire sur « Des logiciels pour favoriser la fixation du carbone »

  1. Thanks for highlighting how software can play a role in solving environmental and food security challenges. It’s hard to believe that Internet companies’ massive data centers emit as much carbon dioxide as the airline industry (I certainly hope not!) but easy to believe that software, TechMatters and 1000 Landscapes can help strengthen the good work and deliver the good ideas that will help local actors make progress on the path to more regenerative practices….!

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